Je chambre parfois un peu mes élèves en leur disant : "vous verrez, un jour, quand vous serez tous profs..." Peu ou pas de succès. La crise des vocations, durement ressentie au concours. L'inspecteur que j'ai vu mardi dernier disait que le concours en lettres classiques risquait de disparaître... En maths, on peine à recruter...
J'ai eu, durant ma propre scolarité, des enseignants épatants. Des nuls, des inaptes aussi ! Mais j'ai eu, oui ! des profs d'une qualité exceptionnelle qui n'étaient pas de simples pédagogues mais qui apportaient une âme à leur enseignement. Particulièrement en français.
En quatrième, j'ai eu M. Roussel : chaque samedi, comme il savait que j'écrivais, il me laissait cinq minutes pour lire un petit texte que j'avais rédigé librement. Au lycée, M. Mouquet a fait de moi le futur prof de français que j'allais devenir. J'étais médiocre en seconde. Et puis, en première, j'ai eu la révélation. Je suis même devenu excellent. M. Mouquet transcendait ses cours de français : nous buvions ses paroles !
A la fac de Rouen, j'ai eu des profs hors du commun, des pointures dans leur domaine : Mme Millet ou M. Leclerc, spécialiste mondial de Flaubert et Maupassant.
Et puis j'ai eu deux enseignants inclassables.
Mme Naugrette, arrivée toute jeune à Rouen, auréolée de son entrée comme major à Normal Sup' et de sa sortie comme major à l'agrég', spécialiste du XIXème siècle et de Victor Hugo en particulier dont elle reste l'une des plus grandes spécialistes reconnues. C'est avec elle que j'ai fait mon mémoire de maîtrise : une année à laquelle je pense toujours avec nostalgie. Mme Naugrette, une érudition pleine de finesse et toujours accessible. Je n'entrerai pas dans les détails mais elle a monté à la fac tout un projet colossal autour du Théâtre des Arts et, là où des enseignants récupèrent sans vergogne le travail de leurs étudiants, elle a toujours su leur rendre la monnaie de la pièce. Une gentillesse exemplaire qui avait fait un cadeau pour la naissance de mon fils. Le genre de prof qu'on ne veut pas décevoir quand on passe à l'oral ou qu'on lui rend une copie. L'an dernier, elle a repris contact avec moi pour que je rédige une synthèse de mon mémoire afin de le publier dans une revue. Elle supervise actuellement l'édition intégrale des lettres échangées entre Victor Hugo et Juliette Drouet :
à voir ici.
Et puis, plus qu'un prof, un véritable personnage : M. Maurice, éminent spécialiste de la littérature du Moyen Âge. Une somme de connaissances, un charisme, des cours passionnants. J'ai appris beaucoup dans ses cours. Pas seulement sur le Moyen Âge. Mais sur ce que devait être un prof pour ne pas être ennuyeux ! Je m'étais engagé dans un DEA qui avait pour sujet "la mesure et la démesure chez Chrétien de Troyes" et puis, jeune prof, accaparé par la découverte de ce métier, j'ai, un peu lâchement, renoncé. C'est un regret.
Alors, tant bien que mal, j'essaie, face à mes élèves, d'être un peu digne de tous ces enseignants, de leur arriver ne serait-ce qu'à la cheville ;-) Ce serait déjà une belle réussite...