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"Les points sur les i", petit blog péda(nt)gogique lié à mon métier de prof de français. En 2021, j'attaque ma 22ème rentrée : la huitième dans la Manche, après neuf ans dans les Ardennes et plusieurs années en lycée et collège aux alentours de Dieppe. Cette interface est un lieu pour proposer des éléments (plus ou moins) en rapport avec les cours que j'inflige à mes élèves : cahiers de textes, documents complémentaires, billets d'humeur et partages de mes lectures personnelles... Bonne visite !

Lumineux !

Il est des auteurs ainsi - ça ne s'explique... Oui, des auteurs qui dématérialisent le verbe, le mot, qui lui donnent une substance propre qui vient vous toucher...


Rien que de très banal a priori. Une femme qui se lance dans l'écriture pour raconter sa mère, comprendre si elle aurait pu s'opposer à la nuit, à son suicide...


Au début, l'histoire ne m'a pas passionné. J'ai aimé les intermèdes au cours desquels Delphine de Vigan évoque sa difficulté d'écrire tout cela, la peur de mal faire, la certitude de blesser les siens, notamment la fratrie de sa mère.


Et puis, les chapitres 57 et 58, sont lumineux. Le moment où l'auteur évoque le suicide de sa mère, la découverte qu'elle a faite du corps. Tout en nuance, tout en pudeur... Le mot juste, précis, qui touche pile là où il doit toucher... Peut-être parce que ça m'a renvoyé à une certaine expérience personnelle... Je ne sais pas... Je me dis que, sur ce sujet, on ne pourra peut-être pas écrire plus justement que ce que Delphine de Vigan a écrit...


"Chacun a gardé des événements qui ont fondé l’histoire familiale sa propre vision. Ces visions diffèrent, parfois se contredisent, elles sont autant d’éclats épars dont le rassemblement ou la compilation n’apportent rien."

"Au lieu de quoi je ne peux toucher à rien. Au lieu de quoi il me semble que je reste des heures les mains en l’air, les manches remontées jusqu’aux coudes, ficelée dans un horrible tablier de bouchère, terrorisée à l’idée de trahir l’histoire, de me tromper dans les dates, les lieux, les âges, au lieu de quoi je crains d’échouer dans la construction du récit telle que je l’avais envisagée.
Incapable de m’affranchir tout à fait du réel, je produis une fiction involontaire, je cherche l’angle qui me permettra de m’approcher encore, plus près, toujours plus près, je cherche un espace qui ne serait ni la vérité ni la fable, mais les deux à la fois."
"Le soir nous prîmes comme prévu le train pour la Normandie où notre père vivait toujours avec sa femme et notre petit frère. Le front appuyé sur la vitre, je regardai défiler ce paysage que nous connaissions presque par cœur, je fermai les yeux, à la recherche d’un temps volé au temps, où rien de tout cela n’était arrivé."
"Avant de commencer l’écriture de ce livre, dans cette période singulière et précieuse où le texte se pense, se fantasme, sans qu’aucun mot, aucune musique ne soient encore posés sur le clavier, je prévoyais d’écrire les dérives de Lucile à la troisième personne, comme je l’ai fait pour certaines scènes de son enfance, à travers un elle réinventé, recommencé, qui m’eût ouvert le champ de l’inconnu. Par exemple, j’aurais aimé écrire sa visite chez Jacques Lacan (elle surgit dans la salle d’attente malgré l’interdiction de la secrétaire, puis demanda à s’asseoir), raconter ses errances dans la ville, combler les manques, reconstituer ce qui ne pourra jamais l’être, ce temps de folie pure dont même Lucile ne connaissait pas tout.
Je n’ai pas su."
"J’écris ce livre parce que j’ai la force aujourd’hui de m’arrêter sur ce qui me traverse et parfois m’envahit, parce que je veux savoir ce que je transmets, parce que je veux cesser d’avoir peur qu’il nous arrive quelque chose comme si nous vivions sous l’emprise d’une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, de mon énergie, de ma joie, sans penser que quelque chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, toujours, nous attendra dans l’ombre."
"Pour écrire ces pages, j’ai relu dans leur continuité quelques cahiers du journal que j’ai longtemps tenu, sidérée par la précision avec laquelle j’ai consigné, presque chaque jour et pendant plusieurs années, les événements les plus marquants, mais aussi les anecdotes, les soirées, les films, les dîners, les conversations, les questionnements, les plus infimes détails, comme s’il me fallait garder trace de tout cela, comme si je refusais que les choses m’échappent.
Le fait est que j’ai oublié une bonne partie de ce qui est contenu dans ces lignes, dont ma mémoire n’a gardé que le plus saillant et quelques scènes plus ou moins intactes, tandis que le reste a été, depuis longtemps, englouti par l’oubli. "
"Lucile m’a appelée ce vendredi matin, c’était la dernière fois et elle le savait."
"J’ai pensé qu’être adulte ne prémunissait pas de la peine vers laquelle j’avançais, que ce n’était pas plus facile qu’avant, quand nous étions enfants, qu’on avait beau grandir et faire son chemin et construire sa vie et sa propre famille, il n’y avait rien à faire, on venait de là, de cette femme ; sa douleur ne nous serait jamais étrangère."
"L’idée ne pouvait pas m’atteindre, c’était inacceptable, c’était impossible, c’était hors de question, c’était non."
"c’était comme un temps mort, un temps suspendu, un temps d’arrêt pour que les choses puissent être différentes, pour que les choses puissent reprendre un cours normal, acceptable" 

1 commentaire:

  1. Je n'ai pas lu ce livre mais le ferai sans doute bientôt.
    Parler du suicide d'un être qui nous est cher est un sujet très sensible et nous reviendra toujours en boucle,lorsqu'on a connu cette souffrance,les questions cruciales :"pourquoi ne suis-je pas parvenu(e)à éviter cela ? qu'aurais-je dû faire de plus ?" Il nous faudra vivre jusqu'à la fin de notre propre existence avec l'absence de réponses...

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