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"Les points sur les i", petit blog péda(nt)gogique lié à mon métier de prof de français. En 2021, j'attaque ma 22ème rentrée : la huitième dans la Manche, après neuf ans dans les Ardennes et plusieurs années en lycée et collège aux alentours de Dieppe. Cette interface est un lieu pour proposer des éléments (plus ou moins) en rapport avec les cours que j'inflige à mes élèves : cahiers de textes, documents complémentaires, billets d'humeur et partages de mes lectures personnelles... Bonne visite !

Lumineux

Je crois que Schmitt devient un auteur que j'aime bien... Mais, ce qui me séduit surtout chez lui, c'est l'idée. Déjà, dans La Part de l'autre, il développait une idée géniale en proposant le destin croisé de deux Hitler : celui qui a échoué au concours des Beaux-Arts et celui qui aurait réussi ce concours.

Là, avec L'évangile selon Pilate, nouvelle idée forte que le titre, mal choisi, biaise un peu. L'auteur veut aborder deux sujets bien casse-gueule : l'Incarnation et la Résurrection. On a donc un récit alerte, qui fait alterner des moments de réflexion et des scènes plus cocasse avec ce Pilate / Sherlock Holmes qui cherche le cadavre du Christ. Le style de l'auteur peine à me séduire. C'est bien écrit, parfois poétique, parfois un peu rugueux... Il concède d'ailleurs que ses phrases sont marquées par une nécessaire oralité. L'auteur est aussi et, avant tout, un homme de théâtre.


Première partie, Jésus est sur le point d'être arrêté. A la première personne, Schmitt lui donne la parole. C'est fort. Vient ensuite le tour de Pilate dont les conviction, progressivement, vont être ébranlées... Schmitt développe la notion de plus en plus admise selon laquelle Jésus s'est laissé tuer. La dimension du personnage de Judas est absolument tragique.

Personnellement, je ne suis pas vraiment croyant, loin de là mais l'histoire du christianisme me fascine. Une poignée d'hommes a modelé notre monde occidental et c'est stupéfiant.

Dans la série des idées qu'on aimerait avoir avant les autres, je poste, encore, cette chanson géniale de U2 : c'est Judas qui parle à Jésus.


"Ce soir-là, au bord du fleuve, par l’euphorie énamourée qui nous collait l’un contre l’autre, j’avais découvert ce qu’il y a d’égoïste dans le bonheur. Le bonheur est à l’écart, fait de huis clos, de volets tirés, d’oubli des autres ; le bonheur suppose que l’on refuse de voir le monde tel qu’il est ; en un soir, le bonheur m’était apparu insupportable."

"
Je ne sais ce que l’avenir retiendra de ma vie mais je ne voudrais surtout pas que se propage cette rumeur qui m’encombre déjà, dans laquelle je me suis pris les pieds : ma réputation de faiseur de prodiges."


"— Cela dit, Pilate, je ne suis pas mécontent de te voir arriver dans les parages. Sans me mêler de ce qui ne me regarde pas, tu aurais tout intérêt à ce que les idées de ce Juif ne se diffusent pas. Il propose une morale dangereuse, qui pourrait bouleverser tout l’équilibre de notre monde si elle avait le moindre écho : il prétend que tous les hommes sont égaux. Tu entends, Pilate ? Te rends-tu compte ? Aucun homme ne vaut mieux qu’un autre ! Cela veut dire qu’il attaque l’esclavage ! Imagine qu’on l’écoute, il pourrait provoquer une révolte, mettre tout l’ordre à bas, devenir un Spartacus qui réussit. Car la faiblesse de Spartacus, c’est qu’il restait un esclave qui avait ameuté des esclaves, tandis que ce Juif libre s’adresse à la terre entière et prétend briser toutes les chaînes. Méfie-toi, Pilate ! Surveille-le ! Bou-cle-le !

— Je l’ai déjà crucifié. Que puis-je faire de plus ?"

"On ne voit jamais les autres tels qu’ils sont. On n’en a que des visions partielles, tronquées, à travers les intérêts du moment. On essaie de tenir son rôle dans la comédie humaine, rien que son rôle – c’est déjà si difficile. Nous étions deux acteurs cette nuit-là. Yéchoua jouait la victime d’une erreur judiciaire. Et moi, Pilate, je jouais le préfet romain, juste et impartial."

"Je l’explique souvent à Claudia. Tout d’abord, cette religion est née dans un mauvais endroit ; la Palestine demeure une toute petite nation qui n’a ni importance ni influence dans le monde d’aujourd’hui. Ensuite, Yéchoua n’a enseigné qu’à des analphabètes, de rudes pêcheurs du lac Tibériade qui, à part Yohanân, ne savent parler que l’araméen, à peine l’hébreu, très mal le grec. Que va devenir son histoire quand les derniers témoins seront morts ? Yéchoua n’a rien écrit, sinon sur du sable et de l’eau ; ses disciples non plus. D’ailleurs savait-il seulement lire ? Enfin, sa grande faiblesse fut de partir trop vite : il n’a pas pris le temps de convaincre assez de gens, ni surtout les gens importants. Que ne s’est-il rendu à Athènes ou à Rome ? Pourquoi même a-t-il quitté la Terre ? S’il est bien Fils de Dieu, comme il le prétend, pourquoi ne pas demeurer parmi nous à jamais ? "

"Les figures du poisson se multiplient dans le sable et la poussière de Palestine ; les pèlerins les tracent du bout de leur bâton comme la clé secrète d’une communauté qui s’élargit. Mes espions viennent de me rapporter que les sectateurs de Yéchoua s’étaient aussi trouvé un nom : les chrétiens, les disciples du Christ, celui qui a été oint par Dieu, et qu’ils ont désormais un autre signe de reconnaissance qu’ils portent souvent en pendentif : la croix."

"Ainsi ai-je aujourd’hui récrit la Cène. Lors du dernier repas qu’il partage avec ses proches, Jésus livre son raisonnement. S’il veut éviter que toute la troupe de disciples soit condamnée et crucifiée, s’il veut éviter un châtiment collectif, il doit se faire désigner comme unique responsable. « Quelqu’un doit me dénoncer. » Implicitement, il demande à Judas, le seul assez proche et subtil pour le comprendre, d’accomplir cette besogne.

Par amour, par conviction, par dévotion, Judas accepte.

Confiant dans la messianité de Jésus, il jouera, aux yeux de tous, le mauvais rôle. Blessé, bouleversé et en même temps confiant, il emporte son secret dans la tombe.

Ainsi le christianisme est-il fondé sur un double sacrifice, le sacrifice de Judas et le sacrifice de Jésus."

"
Depuis deux mille ans on hésite entre deux théories : Jésus se sachant le Messie ou Jésus se découvrant le Messie ; j’en propose une troisième : Jésus fait le pari qu’il est le Messie."


"
Le roman me semble avoir une place justifiée dans cette histoire. Protégé par ce genre, protégé par l’aveu de la fiction, je n’assomme pas le lecteur en lui disant « C’est vrai », seulement « C’est vraisemblable ». Je ne crie pas « Voici LA vérité », juste « Voici mes hypothèses ». Mes pensées se présentent sous la forme de mensonges : une fiction. La fiction a peut-être seule le pouvoir de dire, ici, ce qui doit être dit."


(L'Evangile selon Pilate)

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