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"Les points sur les i", petit blog péda(nt)gogique lié à mon métier de prof de français. En 2021, j'attaque ma 22ème rentrée : la huitième dans la Manche, après neuf ans dans les Ardennes et plusieurs années en lycée et collège aux alentours de Dieppe. Cette interface est un lieu pour proposer des éléments (plus ou moins) en rapport avec les cours que j'inflige à mes élèves : cahiers de textes, documents complémentaires, billets d'humeur et partages de mes lectures personnelles... Bonne visite !

Intervention de Robert WAJCMAN, rescapé d'Auschwitz

Robert Wajcman est un petit homme sympathique, affable. Il a une voix incroyablement douce pour raconter des faits d'une horreur sans nom. Robert Wajcman a 84 ans, bientôt 85. Sa vivacité d'esprit, la clarté de son élocution, son aplomb forcent l'admiration. 

Robert Wajcman a 84 ans, donc, et, il y a 70 ans, les autorités françaises de Vichy l'ont poussé dans l'avant-dernier convoi qui déportait les Juifs à Auschwitz. Pendant près de deux heures, debout face à son micro, sans fléchir, sans pathos ni emphase, humble, Robert Wajcman a déroulé le fil de son histoire. Pendant près de deux heures, un silence absolu a régné dans la salle de permanence du collège Charcot où se pressaient la cinquantaine d'élèves de troisième de l'établissement, de nombreux adultes (enseignants, surveillants, parents, anciens élèves...).

Les élèves ont été préparés à cette venue qu'ils attendaient, comme toujours lorqu'on a un témoin de l'époque qui intervient, avec une grande impatience. Leur attention, la retenue dans leurs questions, l'échange que certains ont eu ensuite avec Robert Wajcman ont été exemplaires.

Les 3A ont lu Voyage à Pitchipoï. En 3B, j'ai diffusé La Rafle et nous lirons bientôt Un Secret. Je ferai lire aussi Inconnu à cette adresse et je vais peut-être étendre la liste à Elle s'appelait Sarah ou Un sac de billes. Dans les deux classes, en histoire, Mme Varin a largement abordé cette période et montré aux élèves Nuit et brouillard.

La Rafle est toujours un choc, je le vois et le revois toujours avec la même émotion, la même appréhension. Le gamin qui joue le rôle principal ressemble beaucoup à mon fils et je dois dire que, la première fois que j'ai vu le film, je me suis identifié d'emblée au père de l'enfant.



Pendant près de deux heures, j'étais accroché à mon téléphone sur lequel je prenais en note l'essentiel de ce Robert Wajcman nous livrait.



Robert Wajcman commence le fil de son histoire par son enfance, heureuse jusqu'à ce qu'éclate la guerre et, surtout, jusqu'à ce que soient promulguées les lois antisémites de Vichy : dernier wagon du métro, recensement, interdiction des squares publics et, bien sûr, l'étoile que les Juifs ont dû coudre en utilisant les tickets de rationnement textile (j'ignorais ce vice ultime de l'administration de Vichy !).

Sa famille fuit Paris. Début d'une longue errance pour cette famille d'artisans : ébénistes, tapissiers, etc. Passage en zone libre avec passeur et faux papiers. La famille s'installe donc en zone libre, à Limoges, où la vie est plutôt douce : Robert Wajcman raconte qu'il mange alors son "pain blanc". Mais l'étau se resserre, les Allemands sont de plus en plus pressants dans une zone dont ils ont repris le contrôle fin 1942. La famille décide de partir pour Lyon.

Là, avec son père, Robert Wajcman est repéré par une Traction noire dont les occupants sont intrigués par les valises qu'ils portent. Tous deux sont arrêtés et se retrouvent à la Gestapo de Lyon dirigée par le sinistrement célèbre Klaus Barbie. Robert Wajcman et son père finissent par avouer qu'ils sont juifs et les sbires de Klaus Barbie frappent Robert Wajcman qui livre alors l'adresse de la famille. Quelques heures après, sa mère est arrêtée. Son frère, âgé de dix ans, n'a pas été arrêté. A la Gestapo, Robert Wajcman est affecté à une tâche particulièrement pénible : il doit nourrir les Résistants qui sont régulièrement torturés.

[Klaus Barbie a fait l'objet d'un procès retentissant dans les années 89/90, je dirais, j'étais encore au collège. Son procès a été intégralement filmé à Lyon, c'était une première et, chaque soir, les journaux télévisés faisaient leur ouverture sur l'audience du jour. C'est lors de ce procès qu'Elie Wiesel a dit qu'un crime contre l'humanité, c'était le fait de tuer quelqu'un pour la simple raison qu'il existe. J'avais 13 ou 14 ans à l'époque mais cette phrase m'a glacé.] 

A l'approche du débarquement, les Alliés pilonnent la Gestapo lyonnaise et les adultes du groupe de prisonniers dont fait partie Robert Wajcman sont assignés au déblaiement des décombres. Une évasion a lieu le 3 juin 1944. Le lendemain, pour masquer cette évasion et faire croire que certains fuyards ont été rattrapés et tués, les Allemands tuent trois personnes du groupe. Parmi elles, le père de Robert Wajcman.

Robert Wajcman vient d'avoir 14 ans, c'est la guerre, il est sous le joug de la Gestapo de Klaus Barbie, sa mère est quelque part en prison, il ne sait pas ce qu'est devenu son frère, son père vient d'être tué.

Silence de plomb dans la salle.



Espoir. Le Débarquement a eu lieu et les prisonniers se croient tirés d'affaire car cet événement sonne forcément le glas des transferts de Juifs vers l'Est.

Fin juin, Robert Wajcman est pourtant transféré à Drancy. Il y retrouve sa mère à qui il ment au sujet de son père, disant qu'il n'est pas là car il a été déporté pour faire des travaux sur le Mur de l'Atlantique. Robert Wajcman est jeté dans un wagon à bestiaux et, pendant 3 jours et 4 nuits, il est transporté vers l'Est dans des conditions indescriptibles.

Robert Wajcman arrive à Auschwitz. Par respect et pudeur, je ne vais pas reformuler ce qu'il a raconté. Je vous livre, brutes, les notes que j'ai prises hier, ce qui permettra aux lecteurs de ce blog qui étaient hier de conserver le fil de ce qu'ils ont entendu hier tout en y associant, non pas mes mots, mais ceux de Robert Wajcman.


Arrivée dans un camp. Séparation d'avec sa mère. Examen d'arrivée (médecins et SS). Dire qu'on a 16 ans. Tri. Tous ceux qui ont été mis sur le côté ont été gazés. Douche d'arrivée. Tonte. Tatouage matricule. Plus un être humain. Vêtements civils. Marche de 8 kms. Auschwitz 3. Usine Farben qui fabrique aussi le gaz pour l'extermination. Uniforme de détenu. Creuse des tranchées. Allemands qui comptent encore et encore.


Arrivée de l'hiver dès octobre. Récupération des sacs de ciment pour se protéger du froid. Moment de retrouvailles en fin de journée avec le "groupe des lyonnais". Garde un minimum de ressources morales en pensant à sa mère et à son frère. Parvient à se faire admettre à l'hôpital du camp grâce aux docteur Weiss. Conditions améliorées.


Épisodes de sélection à l'occasion des baisses de production de l'usine. Échappe de peu à une sélection à l'hôpital. Reprend le travail. Conditions de travail dans un froid infernal.


Janvier 45. Russes approchent. Apprend que le camp va être évacué. Dernier groupe pour la marche de la mort. Les SS achèvent les plus faibles. Route glacée et piétinée par tout le camp qui est déjà passé avant. Reprise de la marche le lendemain. Intervention du docteur Weiss pour le jeter dans une charrette de prostituées destinées aux Allemands. Froid extrême. Toujours dans le secteur d'Auschwitz. Chargement dans un train pendant trois jours. Boit la neige. Arrivée à Buchenwald. Placement en quarantaine. Tentes puis baraquements.


Appelé comme jardinier. Entretien du camp pour faire bonne figure lors des contrôles de la croix rouge. Avril. Nouvelle évacuation vers un terrain vague. Anecdotes des prisonniers non nourris et qui effraient les allemands. Arrive à fuir avec deux camarades vers le toit du baraquement des prisonniers russes.


Délogé. Nouveau transfert en train. Sentinelle à chaque wagon. Wagon bondé. Improvisation de soupes d'herbes. Arrêt du train. C'est le 8 mai 1945, jour de son anniversaire. Installation dans des bâtiments de fortune. Les russes improvisent des repas avec de la farine trouvée dans d'autres wagons. Arrivée des chars russes vers le 10 mai. Toilette par des allemandes. Certains meurent de trop manger après tant de privations. Hôpital de campagne russe puis américain puis transfert en avion pour Villacoublay. Prise en charge par la croix rouge. Hôpital Bichat. État de prostration. Arrivée de sa tante (qui ne s'était pas déclarée juive) qui ne le reconnaît pas, puis sa mère elle aussi revenue d'auschwitz. Elle est sidérée. Il pèse alors 15 ou 16 kilos. Sort de sa prostration.

Appartement à Paris. Retrouve sa grand-mère. Et son frère que sa mère avait miraculeusement confié à de la famille de Montauban. Un an pour retrouver sa santé.

Oui, un an pour retrouver une santé ! Seule sa jeunesse lui a permis de se reconstituer. Le procès de Nüremberg a lieu. Le docteur Weiss y témoigne. Robert Wajcman raconte les procès que sa mère intente pour récupérer les biens de sa famille qui ont été confisqués durant la guerre, à commencer par l'appartement de Saint-Ouen et le commerce familial.

Il explique ensuite avoir repris une vie normale, parle de ses enfants à qui ils n'a jamais rien dit, il parle d'ailleurs de cette sorte de tabou qui, pendant des décennies va perdurer en France, va perdurer autour des déportations. Il faut dire aussi que la responsabilité des autorités françaises dans ces massacres n'aide pas... C'est avec ses petits-enfants que sa parole se libère puis il franchira le cap de témoigner devant un public scolaire il y a 4 ou 5 ans, notamment pour tordre le coup aux propos négationnistes qu'il entend trop souvent.

Applaudissements nourris à la fin de l'intervention. De nombreuses questions fusent. Est-l retourné en Allemagne ? Comment vit-il avec cela ? La situation actuelle en France le préoccupe-t-il ? Que pense-t-il des films qui abordent cette période ?

Robert Wajcman profite d'une dernière question pour montrer aux élèves que ce sont eux les dépositaires de l'avenir, que ce sont eux qui ont la charge d'entretenir certaines valeurs et de les défendre. Il attire leur attention en leur rappelant comment un petit groupes d'hommes a orchestré l'extermination, comment on a commencé par les infirmes, les Noirs, les homosexuels...

Un moment absolument hors du temps, exceptionnel !

Et toujours une pensée émue pour mes grands-parents. Pour ma grand-mère dont le journal intime s'arrête en 1941 lorsqu'elle fait la connaissance de mon grand-père et qu'elle s'engage dans la Résistance dans le maquis du Mont-Mouchet. Je me souviens comme, à la fin de sa vie, elle me parlait du Musée d'Izieu que l'on construisait ou rénovait et pour lequel elle était fière d'avoir donné une importante contribution. Elle me parlait aussi de ce village de sa Haute-Loire natale, le Chambon-sur-Lignon, dont les habitants ont abrité et protégé de nombreux Juifs durant la guerre, dont on a fait un téléfilm : La Colline aux mille enfants... Mon grand-père n'a jamais parlé de la guerre, ni de celle-là, ni de la première (il était né en 1901). Dans une petite boîte en bois, il gardait précieusement des balles de pistolet.

C'est pour tous ces non-dits qui meurent avec les personnes que le témoignage de Robert Wajcman est d'autant plus crucial.

A la fin, il accusait un peu le coup. Lorsque je l'ai raccompagné en voiture à la gare, nous n'avons par parlé de ces heures qui venaient de se passer, il était heureux d'avoir témoigné mais, déjà, je l'ai senti ailleurs. Comme il nous l'a expliqué, témoigner ainsi "remue" et il savait que sa soirée serait difficile. Nous avons parlé de ces prochaines interventions : au Mémorial de la Shoah, à Marseille. Et puis du soleil de Cherbourg...

Tout au long de la trentaine de minutes du trajet qui me ramenait chez moi, je n'ai pas allumé Spotify, derrière mes lunettes de soleil qui masquaient les larmes qui perlaient, je me suis senti bizarre, touché et ému. J'étais très content de retrouver mes enfants et, même si mon fils avait encore oublié toutes ses affaires pour faire ses devoirs de lundi, je ne l'ai qu'à peine disputé...

Un millions et demi d'enfants sont morts dans les camps............

Les dernières lignes d'Un Sac de billes de Joffo :




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