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"Les points sur les i", petit blog péda(nt)gogique lié à mon métier de prof de français. En 2021, j'attaque ma 22ème rentrée : la huitième dans la Manche, après neuf ans dans les Ardennes et plusieurs années en lycée et collège aux alentours de Dieppe. Cette interface est un lieu pour proposer des éléments (plus ou moins) en rapport avec les cours que j'inflige à mes élèves : cahiers de textes, documents complémentaires, billets d'humeur et partages de mes lectures personnelles... Bonne visite !

Grève !

Une de plus, diront certains. En ce qui me concerne, ce n'est que la troisième ou quatrième fois que je fais grève depuis mon entrée en fonction, en 2000. Je dois être un zombie ou un recordman ;-)

Donc, demain, oui, je fais grève. Une grève qui, je le souhaite, sera massivement suivie car elle fédère deux revendications bien précises :

1. La remise en cause de l'évaluation des enseignants ;
2. Le probable gel de l'avancement des enseignants de 2012 à 2015.



Avant de développer, quelques mots sur ma petite personne qui nous amèneront logiquement à considérer les deux points précédents.

J'ai décroché une Maîtrise avec mention TB à la fac de Rouen en 1998. Un boulot passionnant mené avec des profs archi géniaux auxquels je voue, toujours, une grande admiration. Je me lance ensuite dans la préparation du CAPES. Je me plante. 1 en latin, un 3 me permettait d'avoir le CAPES. Ecoeuré, d'autant que le 1 était absolument injustifié. Je ne le sais pas encore mais ces deux examinateurs de latin m'ont rendu un sacré service. Avec une note meilleure, j'aurais eu mon CAPES mais j'aurais été classé dans les abysses du concours. On s'en fout, vous me direz, l'essentiel, c'est d'avoir le concours. C'est ce que je pensais aussi.

L'année suivante, 2000, donc, je bosse comme un malade, j'avale trois livres par semaine, je passe des oraux blancs en pagaille, je fais des centaines de fiches de grammaire, de stylistique, de phonétique, d'ancien français. Bref, je me transforme en une machine à gagner un concours, à bouffer de l'examinateur. Je décroche haut la main ma place pour les oraux en obtenant un beau 13,5 à la dissert' de 6 heures. A l'oral, à Tours, je me transcende véritablement. Je tombe, en plus, sur un sujet qui me passionne lors de l'épreuve dite "sur dossier" : une séquence à analyser sur la littérature de la seconde guerre mondiale. Je casse la baraque : 15.

Résultat, sur 8600 candidats, j'arrive 61ème, major de l'académie de Rouen, les cinquante premières places sont généralement bloquées d'office par les agrégatifs de Normale Sup'. Me voilà donc avec un excellent rang. J'en suis fier parce que je trouve ça bien. Novice, j'ignore encore surtout que ce rang va me suivre toute ma carrière.

Et j'en viens aux deux points mentionnés.

Lorsqu'on est jeune prof, l'avancement dépend précisément du rang obtenu au concours. Il faut le savoir, le prof est évalué de deux manières. La note pédagogique, sur 60 points, évolue au long de la carrière, au fil des inspections, selon des créneaux pré-établis. En gros, un inspecteur, pour tel échelon, ne peut pas valoriser la note au-delà de telle note. C'est pareil pour la note administrative, sur 40 points, qui est régulièrement valorisée par le chef d'établissement qui évalue là le rayonnement de l'enseignant, son sérieux, son assiduité, sa ponctualité, etc. Le chef d'établissement n'évalue jamais la compétence pédagogique qui est du ressort de l'inspecteur.

Nous touchons ici à l'une des revendications de la grève. Il est prévu, dès 2012, que les inspecteurs ne visitent plus les professeurs et que la note pédagogique tombe en quelque sorte dans le giron des chefs d'établissement qui, du jour au lendemain, auraient en main le contrôle total de l'évaluation des enseignants, y compris le domaine pédagogique, ce qui suppose que chaque chef d'établissement, durant les grandes vacances apprenne à bien connaître les programmes de chaque discipline afin de pouvoir évaluer au plus juste "leurs" enseignants. Je suis contre cela. Beaucoup de chefs d'établissements aussi. D'autant que cela s'apparente à une première déviance qui pourrait mener à une remise en question complète du recrutement des enseignants, un peu selon le modèle anglais, où les enseignants sont recrutés au cas par cas par le chef d'établissement. Loin de toutes les procédures relativement égalitaires de mutation dont nous bénéficions actuellement.

Seconde revendication. L'avancement des enseignants dont on a dit qu'il dépendait, dès le début de carrière, du rang au concours. Précision en préambule : l'avancement d'un enseignant conditionne aussi sa rémunération. Cet avancement se fait selon trois modalités : l'ancienneté, le choix, le grand choix. Plus vous êtes bien évalué par votre inspecteur, plus vous avez de chances de passer d'un échelon à l'autre au grand choix. Il y a en tout 11 échelons. Sinon, vous passez au choix, selon un rythme moins rapide ou, au pire, à l'ancienneté. En fin de carrière, les différences de salaire entre un enseignant et un autre peuvent être colossales selon la rapidité de l'avancement.

Mon rang au concours m'a permis d'avoir, dès le début, une note administrative forte (il ne me reste que 4/10ème de point à décrocher pour obtenir la note optimale de 40) Mon rang m'a aussi permis d'avoir une note pédagogique forte et, donc, de pouvoir passer, régulièrement au grand choix (sauf une fois). Ainsi, après 12 ans de carrière, je suis à l'échelon 7. Je suis à nouveau promouvable au grand choix l'an prochain, en septembre, je crois ; au choix en mars 2013 ; à l'ancienneté, en septembre 2013. On voit les écarts. Le projet de décret du gouvernement bloque les avancements autres qu'à l'ancienneté. Est-ce juste ? Non, bien évidemment, c'est fondamentalement injuste. Mon dernier rapport d'inspection est plutôt élogieux et j'espère bien passer au grand choix car mes notations administrative et pédagogique sont largement au-dessus des médianes du 7ème échelon. Le gel éventuel de l'avancement me touche directement. Idem, d'ailleurs, si je postule à la hors-classe - j'ai loupé la campagne l'an dernier, couillon que je suis ! Un collègue me disait que la hors-classe risquait d'être touchée par ce gel.

C'est comme si je disais à un élève qu'il a le niveau pour passer en troisième mais qu'il devra attendre l'année prochaine. C'est ridicule.

On voit bien l'enjeu pour l'Etat. Pas d'avancements au choix ou au grand choix = un max d'économies. On fait miroiter aux jeunes collègues un salaire valorisé (c'est le moins que l'on puisse faire pour des diplômés à bac +5 !) mais, par ailleurs, dès qu'ils seront dans le métier, leur valorisation salariale sera minorée. C'est d'une hypocrisie incroyable.

Je passe aussi sur un dommage collatéral. Un enseignant qui veut muter accumule des points selon divers critères. Je ne détaille pas. Mais l'un des critères pour gagner des points est le nombre d'échelons obtenu. Autrement dit, moins vous gagnez d'échelons, moins vous avez de points pour muter. CQFD.

Alors, oui, j'en entends déjà qui affûtent la ritournelle si usée des profs privilégiés, des vacances, des profs qui ne fichent rien, etc. Comme beaucoup de lecteurs de ce blog, j'imagine, mon indice de rémunération n'a pas été revu depuis des lustres - une fois, je crois, en 12 ans de carrière. J'ai vu hier que, en 2012, les prix avaient augmenté de 2,5%, je ne fais pas partie des privilégiés qui verront leur salaire augmenter de manière mimétique. Oui, j'ai des vacances, non l'intégralité de ces vacances n'est pas payée. Un texte des années 50 (c'était hier, en somme) a établi une rémunération des profs sans vacances et a ensuite lissé cela sur la rémunération annuelle. Cela mérite d'être rappelé. Oui, je ne passe que 18 heures face à mes élèves. Mais je bosse chez moi, je prépare mes cours, je corrige mes copies, je reviens régulièrement au collège régler des problèmes, assister à des réunions, assurer les conseils de classe, rencontrer des familles, parfois je corrige les examens (activité pour laquelle je suis payé une misère, très très très très loin du SMIC horaire), etc. Non, je ne suis pas un feignant. Qu'on sorte de cette caricature stérile !

Et, depuis quelques années, je fais un boulot qui est de moins en moins un boulot d'enseignant pour lequel j'ai été formé et qui m'a séduit au départ. Je suis assistant social, parent de substitution, je me faisais récemment la réflexion que l'une de mes interlocutrices, dans le cadre de mon boulot est, de plus en plus l'infirmière scolaire, on se heurte à des incivilités de plus en plus nombreuses, à une absence générale de travail de la part de nos élèves car les familles peinent à imposer leur autorité à la maison, etc.

Euh, vous sortez du sujet, là, non ?

Oui, je sors du sujet. Pas tant que cela, en fait ! Un enseignant bridé dans sa reconnaissance aura-t-il toujours la volonté de s'investir, de faire son boulot à 150%, de mettre sur pied des sorties pédagogiques (peu de gens, je pense, imaginent la difficulté à trouver des financements pour ces sorties), des pratiques pédagogiques diversifiées, etc.?

Si je suis privilégié, c'est que, contrairement à de nombreux collègues, je suis titulaire de mon poste, à l'abri d'une suppression de poste, je ne me balade pas sur deux ou trois établissements. Mon établissement est agréable, les élèves sont souvent sympathiques, les parents dans leur immense majorité apprécient le travail fourni par les enseignants.

Je ne vais pas faire dans le pompeux. Mais, quand même, on parle de gens à qui on confie l'avenir de notre pays. On sait bien qu'on n'aura pas toujours la reconnaissance qui nous est due. Mais, avec ces projets de refonte de l'avancement et de l'évaluation des profs, ce manque de reconnaissance deviendra carrément officiel... Ce changement de l'évaluation qui ne ferait plus la part belle à la pédagogie pure - quand même le fondement de notre boulot - n'est-il pas la marque tout simplement d'un certain renoncement ?

3 commentaires:

  1. Bravo.
    Je suis prof en grève aussi aujourd'hui. Malheureusement dans mon collège la mobilisation est quasi nulle. Tout le monde n'est pas au courant de ce projet...

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  2. Chez nous, 80% de grévistes. Beaucoup de jeunes profs, particulièrement concernés par cette remise en cause de l'évaluation des enseignants.

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  3. J'ai corrigé deux ou trois inexactitudes et, surtout, une faute de français impardonnable !!! Honte à moi...

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