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"Les points sur les i", petit blog péda(nt)gogique lié à mon métier de prof de français. En 2021, j'attaque ma 22ème rentrée : la huitième dans la Manche, après neuf ans dans les Ardennes et plusieurs années en lycée et collège aux alentours de Dieppe. Cette interface est un lieu pour proposer des éléments (plus ou moins) en rapport avec les cours que j'inflige à mes élèves : cahiers de textes, documents complémentaires, billets d'humeur et partages de mes lectures personnelles... Bonne visite !

6 juin 1944

C'est un pur hasard - ou bien un tour de mon inconscient ? J'ai fini hier ce livre vraiment excellent de Larry Collins. Fortitude, c'est le pendant d'Overlord, l'opération qui a mené au Débarquement. Fortitude, c'est l'idée géniale des forces alliées : inventer une armée fantôme, disposée en Angleterre, qui se préparerait à débarquer dans le Nord de la France, faisant ainsi croire à Hitler que l'invasion normande n'était qu'une diversion...


Intoxication, espion, agents doubles, faux échanges radio, armée de bois et de caoutchouc, réseaux de Résistants sciemment sollicités en vain, etc. Tout est mis en oeuvre pour faire croire à Hitler l'impensable alors que lui-même était d'ailleurs convaincu que le Débarquement n'aurait pas lieu dans le Nord. Cela a tenu à peu de choses, finalement...


Ce livre est un palpitant récit d'espionnage qui a pour contexte, on l'aura compris, les coulisses de l'opération Fortitude racontée avec des détails historiquement vérifiables. L'auteur puise son inspiration dans des faits très documentés - malheureusement ! - bien réels. L'histoire de Catherine / Denise, cette femme française, qui hait les Allemands depuis l'Exode de 40 et la mort de sa mère, se retrouve à Calais, prête à saboter un poste d'artillerie stratégique... Elle est en contact avec Paul, un agent double au service de l'Angleterre... Rien n'est simple... 


Le suspense est implacable, froid. L'auteur réussit à mener avec force son récit alors même que, dès le début, on connait le sort de trois des principaux personnages. L'intérêt est ailleurs : dans le courage des Résistants, dans l'engagement sans faille des services anglais et américains prêts à sacrifier quelques vies pour en sauver des milliers, dans la barbarie brute des tortures de la Gestapo... La technique narrative est implacable.


En lisant ce bouquin, comme tant d'autres qui évoquent la guerre et la Résistance, et en ce jour si particulier, j'ai une pensée pour mes grands-parents maternels, membres actifs du maquis du Mont-Mouchet en Haute-Loire : mon grand-père qui usait de son pouvoir à la Préfecture du Puy (directement sous les ordres du frère de Bousquet !) et ma grand-mère, comme beaucoup de femmes de l'Ombre, qui assurait ravitaillement et liaisons au sein du maquis grâce à sa bicyclette ou distribuait, au risque de sa vie, des tracts gaullistes qu'elle rédigeait elle-même.



"En fait, la décision d’employer des femmes reposait sur des raisons plus solides. Elles pouvaient circuler dans la France occupée plus facilement que les hommes. Elles étaient moins suspectées lors des contrôles de police. Une femme ne pouvait pas être prise dans une rafle et envoyée travailler en Allemagne. Il y avait une autre raison, plus cynique. La Gestapo, comme l’Abwehr (les services de renseignements militaires allemands), avaient à l’égard des femmes une attitude curieusement démodée, pour ne pas dire chevaleresque, encore que cela n’empêchât pas la Gestapo de les torturer quand elles tombaient entre ses mains. Aucune organisation n’aimait employer des femmes dans des rôles actifs. Et les chefs des services ennemis ne pouvaient croire que des gentlemen buvant du thé et jouant au cricket dans leurs costumes de flanelle blancs se serviraient de femmes pour des choses aussi sordides."



"Finalement, monsieur le Premier ministre, le succès ou l’échec du débarquement dépend du principe qui préside à toutes les opérations venant de la mer. Pouvons-nous établir nos têtes de pont avant que les Allemands ne viennent renforcer leurs défenses terrestres ? Si nous le pouvons, nous gagnerons ; sinon ce sera l’échec."

"On avait appelé cette opération du nom de code FORTITUDE et, comme toute grande idée, elle était d’une simplicité trompeuse. Les Alliés allaient faire croire aux Allemands qu’ils ne lanceraient pas une attaque contre la Forteresse Europe d’Hitler, mais deux. La première (et la moins importante) aurait lieu en Normandie, son but étant d’amener dans la péninsule du Cotentin les panzers de la 15e armée. Une fois qu’Hitler y aurait envoyé ces divisions d’élite pour liquider la tête de pont alliée, la deuxième attaque (la vraie, celle-là) aurait lieu dans le détroit du Pas-de-Calais. Ridley et sa London Controlling Section devaient amener Hitler et ses généraux à croire aux mensonges de FORTITUDE qui immobiliseraient ainsi les meilleures troupes allemandes dans le Pas-de-Calais, avec leurs canons muets, leurs troupes intactes, attendant une invasion qui n’aurait jamais lieu !"

"Von Roenne sortit une carte toute usée de son tiroir et la plaça sur son bureau à côté des rapports. Sur cette carte étaient indiqués en détail le stationnement et la description des unités britanniques, américaines et canadiennes qu’on avait pu identifier en Angleterre. Aucun des documents qu’il avait en sa possession n’était plus précieux ni mieux tenu à jour que celui-ci. Comme un astrologue tire ses prédictions de l’emplacement des planètes, von Roenne tirait les siennes, pour le débarquement à venir, de la localisation et de la distribution des forces alliées en Angleterre."

"Jamais il n’avait entendu quelque chose d’aussi extravagant. Ou bien ces gens étaient cinglés, ou bien ils étaient doués d’un rare génie. Mais non : cet avocat, ce romancier populaire, ce type qui fabriquait des meubles du côté de Birmingham, ces deux filles de l’aristocratie, entassés dans ce trou, avaient l’intention de berner Hitler avec un million de faux soldats et de gagner la guerre ? Le général du Pentagone avait raison : ils étaient tous dingues."

"— Comme je vous l’ai dit, quand vous êtes arrivée, Denise, votre travail est le plus dangereux qui soit. Et, ici, c’est le pire endroit de France où vous puissiez le faire. Que vous dire de plus ?"

"Les Allemands avaient constamment besoin de plus de courant pour construire leur mur de l’Atlantique, et pour s’approvisionner en énergie ils avaient recours à la Béthunoise et à des spécialistes comme Paraud. Certains – très peu, en fait – se seraient mis en grève plutôt que d’entrer au service de l’occupant. Paraud, non. Comme beaucoup de Français, il avait été un collabo, réticent sans doute, mais effectif, préparé à tout pour conserver son emploi et nourrir sa famille. C’étaient là des sentiments compréhensibles, mais qui ne lui auraient pas évité la colère d’un quelconque tribunal populaire, la Libération venue, avec ses règlements de compte. Des hommes comme lui avaient besoin de références pour les mois à venir. C’est ce qu’avait pensé Aristide. Et il était prêt à lui en fournir – du moins à un certain prix."

"Mais ce que je sais, c’est que si un homme comme Brutus échoue à persuader les Allemands de nos mensonges, le prix à payer en vies humaines sera infiniment plus lourd que celles de soixante Français qui peuvent – ou non – être tués par la Gestapo. Vous devez comprendre une chose, major, même si cela vous est pénible, dans le monde où nous travaillons, il n’y a pas de place pour les scrupules."

"Ne pas vaincre les nazis, ce serait la fin de toute notre société. Et sa survie est le seul but vers lequel nous devons tendre sans autres considérations morales. "

"Pourquoi Hitler hésita-t-il ce jour-là ? Etait-ce parce que, depuis Stalingrad, sa foi dans sa propre infaillibilité avait été ébranlée ? Etait-ce parce que le poison infiltré par FORTITUDE commençait à produire ses effets et paralysait son esprit ?"

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